Ce qui frappe d’abord dans le travail d’Estelle Deschamp, c’est l’économie de moyens volontaire dont elle fait preuve: carreaux de faïence, bois, plâtre, mousse, pvc, chutes et rebuts, elle fait principalement usage de simples matériaux de construction, qu’elle utilise bruts, pour leur solidité,leur texture, leur couleur. Les assemblages qu’elle met ainsi en œuvre peuvent faire preuve d’une efficace simplicité : accumulation, empilement, stratification, répétitions de motifs à différentes échelles, mais aussi être associer à des formes plus travaillées relevant de l’ornement (marquetterie, moulures…).
Son travail fait preuve d’un esprit de bricolage, au sens où le définit Claude Lévis-Strauss dans La pensée sauvage : l’artiste prend ce qui lui tombe sous la main et elle construit son œuvre au gré des opportunités, avec les instruments, les outils qu’elle trouve et qu’elle s’approprie, les contextes dont elle se nourrit. Jamais cependant cette apparente limitation n’entrave la poétique de ses pièces, leur capacité à nous entraîner dans un univers nouveau fait d’association libres et de références renouvellées ( architecture, classicisme, minimaliste, constuctivisme, science fiction, design, patisserie…).
On se prend à s’émerveiller des matériaux, on prend garde à leur texture, à leur beauté soudain révélée, comme si la somme des textures, des couleurs, leur rythmique, dépassait leur énumération,comme s’il émanait un mystère de cette accumulation. C’est que « la poésie du bricolage lui vient aussi, et surtout, de ce qu’il ne se borne pas à accomplir ou exécuter ; il raconte (…) le caractère et la vie de son auteur. Sans jamais remplir son projet, le bricoleur y met toujours quelque chose de soi. » Ce qui transparaît dans cette simplicité, dans cette pauvreté, c’est avant tout une forme de générosité, de plaisir à choisir les matériaux et à les découper, à les assembler, à leur donner vie.
J.Zerbone, 2013
Dans ces installations Estelle Deschamp participe à l’idée paradoxale d’organisation d’un désordre, dans l’accumulation, la combinaison, la composition d’éléments hétéroclites puisés dans un « stock » constitué au préalable.
Ce qui ressort aussi de ce processus de composition, est le principe de module, ou le fait de penser en terme d’association d’éléments. C’est un moyen de rejeter l’idée de la forme comme une fin en soi, pour mieux considérer les connexions entre plusieurs objets et le pouvoir d’évocation que peut créer leur mise en relation dans un espace.
Reprenant les figures élémentaires qui codifient l’architecture et le design, ces sculptures modulaires créent des formes nouvelles. Ces éléments semblent avoir été assemblés aléatoirement et pourtant ils ont chacun une place qui leur a été attribuée dans l’espace. Cette chorégraphie oscille en permanence entre deux états : l’inachèvement et la finalité. Ces conglomérats de morceaux de bois sont-ils en train d’être faits ou défaits ? Ces débris sont-ils les vestiges de constructions passées ou les annonciateurs de formes à venir ? Les sculptures d’Estelle Deschamp illustrent visuellement cet entre-deux qui n’a pas de nom.
F.B., 2011